Inclusion numérique : dépassons les clichés

Publié le 14 Novembre 2018

Inclusion numérique : dépassons les clichés

On entend souvent dire que réussir l’inclusion numérique, c’est rattraper le retard, inclure tous ceux qui ne sont pas « dedans ». Ceux qui sont « dedans » seraient les jeunes et les utilisateurs intensifs des outils numériques. Les plus démunis et les seniors seraient, quant à eux, éloignés du numérique et donc de l’émancipation sociale dans un monde connecté en constante évolution.
Ces idées reçues ne reflètent pas la réalité observée par Renaud Francou, prospectiviste à la Fondation Internet Nouvelle Génération. Interview.

 

Inclusion numérique : de quoi parle-t-on ?

Renaud Francou : L’inclusion numérique il y a 20 ans relevait principalement de l’équipement et de l’accès internet. La notion d’exclusion pouvait s’exprimer en chiffres (en % d’individus connectes par exemple). C'était déjà réducteur à ce moment, et ça l'est encore plus aujourd'hui.

Le numérique doit pouvoir être vu comme un accélérateur du « pouvoir d’agir » dans notre société, permettant à chacun de devenir le porteur de ses projets, de mieux mener sa vie en tant qu’individu et au sein d’un collectif.

C’est ce que j’appelle l’empowerment du numérique, point d’ancrage du projet de recherche "Capacity" soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche (2014-2017) auquel j'ai participé.

 

Qui sont les exclus du numérique ?

R.F. : Des chiffres récents  mentionnent 13 millions de français éloignés du numérique. La grande diversité des usages révèle une réalité beaucoup plus contrastée. D’ailleurs, en déduire que le reste de la population est à l’aise, me gêne.

Au-delà des chiffres, nous sommes tous potentiellement concernés car l’inclusion numérique dépend de contextes d’usage. Aussi, il n’y a pas de gens « dedans » ou « dehors » ni de fracture uniforme. On est loin du stéréotype des plus démunis.

Un jeune né avec le numérique, issu de la génération Y ou Z, une personne âgée, un cadre diplômé ou une famille modeste peut se sentir en difficulté vis-à-vis du numérique.
Certains d’entre nous sont par ailleurs des exclus heureux et volontaires.
D’autres, bien qu’utilisateurs intensifs des outils numériques, se sentent en détresse pour accomplir des démarches administratives en ligne. Des personnes diplômées ne se sentent pas toujours à l’aise avec des procédures dématérialisées.

A contrario, quelques personnes en situation de précarité se sentent plus à l’aise avec les déclarations en ligne, évitant ainsi de se rendre au guichet d’une administration.
Des familles plus modestes ont parfois des équipements dernier cri et s’investissent dans les réseaux sociaux pour mieux s’intégrer dans la vie sociale. A titre d’exemple, certaines personnes en précarité adoptent les sites d’échanges comme leboncoin, essentiellement pour sociabiliser. Les seniors ont parfois une pratique du numérique assidue, voire experte. Ils se connectent pour ne pas se retrouver isolés.

 

Comment favorise-t-on l’inclusion numérique ?

R.F. : L’inclusion numérique varie selon une combinaison de plusieurs facteurs. L’estime de soi, le lien social et la capacité d’apprentissage en constituent le socle.

L’estime de soi favorise l’accomplissement de ses projets personnels et professionnels. Elle accroît la confiance, non seulement vis-à-vis des nouveaux usages mais aussi vis-à-vis de ses projets.
Le lien social apporte soutien et aide pour résoudre ses difficultés.
Apprendre à apprendre dans un contexte technologique en constante évolution devient essentiel pour comprendre la culture numérique de base et concrétiser ses réalisations.

Sans la combinaison de ces trois facteurs d’ordre social et culturel, la promesse du numérique peut se dérober. Tout travail d'accompagnement doit pouvoir en tenir compte.

On voit bien que le numérique est le révélateur d’une situation. Il n’est pas la cause de l’exclusion numérique : les fractures numériques épousent les fractures sociales.

 

 

Les fractures numériques épousent les fractures sociales.

Renaud Francou, prospectiviste à la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing)

 

 

 

Quels sont les acteurs de l’inclusion numérique ?

R.F. : Les espaces publics numériques, apparus au milieu des années 90s, sont depuis toujours de véritables laboratoires d'usage. Certains travaillent depuis longtemps avec des travailleurs sociaux, d'autres se sont hybridés avec des Fab labs (contraction « Fabrication laboratory », « Laboratoire de fabrication »). Ils constituent un ensemble d'acteurs assez hétérogène mais qui s'intéresse vraiment aux pratiques des gens, travaille la "culture numérique". Par ailleurs, ces médiateurs de ces espaces sont parfois eux-mêmes en difficulté face aux outils numériques.

D'autres acteurs comme Google ou Facebook se sont plus récemment positionnés : contrairement aux premiers,  ils sont plutôt dans une logique de conquête de marché. L'activité de médiation est alors secondaire, ce qui est un vrai problème.

Je suis convaincu que l’inclusion passe par un changement de paradigme. Il est nécessaire de passer au pouvoir d’agir. L’accompagnement doit pouvoir résoudre les difficultés liées aux usages du numérique, tout en favorisant la mise en confiance, le lien social et l’apprentissage.