Illustration femme avec des lunettes de réalité virtuelles

Publié le 02 Novembre 2022

Métavers : comment en faire une innovation responsable ?

Depuis quelques mois, le métavers s’est imposé au sommet des innovations numériques qui suscitent des réactions contrastées : espoir, inquiétude, interrogation… Mais que représente vraiment cet espace numérique immersif ? Quelles sont ses promesses ? Faut-il s’inquiéter de son développement ? Pour répondre à ces interrogations, Morgan Bouchet, Directeur du programme XR et métavers chez Orange et Frédéric Bardeau, président cofondateur de Simplon, se sont livrés à une interview croisée.

 

 

 

Photo de Frédéric

Frédéric Bardeau
Président Cofondateur
Simplon

 

Photo de Morgan

Morgan Bouchet
Directeur du programme XR et métavers
Orange

Depuis que Facebook a été renommé en Meta, le métavers est devenu la nouvelle technologie numérique qui suscite tous les espoirs et toutes les interrogations. Les mondes virtuels promettent de révolutionner de nombreux usages dans les foyers, les entreprises, les écoles… Pourtant, un sondage récent montrait que 87 % des utilisateurs s’inquiètent du métavers et de son impact négatif sur leur vie privée. Cette question de confiance et plus généralement de responsabilité sociétale et environnementale est-elle au cœur du développement futur du métavers ? Morgan Bouchet et Frédéric Bardeau nous répondent.

 

 

Dans le secteur du numérique, le terme est sur toutes les lèvres. Mais concrètement, qu’est-ce que le « métavers » ?

 

Morgan Bouchet : « C’est un espace numérique, immersif par plusieurs aspects, persistant et en temps réel. L’immersion est l’un des concepts clé dans le métavers. Elle peut prendre la forme d’une réalité virtuelle, d’une réalité augmentée ou simplement d’un engagement fort de l’utilisateur dans un univers 3D. C’est ce que l’on retrouve sur les plateformes de jeux aujourd’hui qui constituent les prémices des expériences immersives de demain. Autre élément caractéristique du métavers : la représentation des utilisateurs par des avatars. On préfigure donc un univers parallèle qui prendra une forme plus ludique par rapport à Internet, au Web 2.0.»

Photo d'une femme dans son salon avec un casque de réalité virtuelle


Frédéric Bardeau : « J’ajouterais que le métavers est né d’une vision apparue il y a plusieurs décennies dans des romans de science-fiction. C’est finalement une idée auto-réalisatrice. Le concept du départ devient réalité au fur et à mesure que les technologies et les usages évoluent. »

M.B. : « C’est pour cela que chez Orange, nous sommes dans une phase d’exploration active de ce que peut apporter le métavers. Nous analysons quels seront demain et après-demain les besoins de nos clients. En produisant « Éternelle Notre-Dame », nous avons constaté une vraie appétence pour ce genre d’expérience de réalité virtuelle. Cela confirme que de nouveaux usages autour des expériences immersives sont en train d’émerger. Pour le grand public, le métavers semble s’orienter vers des univers qui reprennent les codes du jeu en ligne, comme The Sandbox, Fortnite ou Roblox. Sur ces plateformes, on peut déjà assister à de nombreuses expériences qui dépassent la simple notion de jeu (concerts, défilés de mode, retransmission de matchs de foot…). Pour les entreprises, l’orientation est différente. Nous testons pour elles des technologies immersives (AR, VR…) qui apportent de véritables bénéfices dans un environnement professionnel. Par exemple pour l’enseignement, la formation professionnelle, la gestion des risques industriels ou la sécurité. Enfin, le métavers donne aussi la possibilité d’expérimenter un nouveau canal de vente grâce aux boutiques virtuelles. »

 

Le développement du métavers suscite beaucoup d’intérêt mais aussi des interrogations. Sur quels acteurs s’appuyer pour favoriser une approche responsable ?

F.B. : « Les technologies sont toujours en avance sur le droit. Je ne crois pas à une réglementation mondiale qui uniformiserait les usages. Mais les fabricants d’équipements, les créateurs de plateformes, les producteurs de services travaillent déjà pour mettre en place une gouvernance. C’est le cas du Metaverse Standard Forum par exemple. Entre acteurs du secteur, on s’entend sur l’interopérabilité, sur la responsabilité des plateformes, sur le respect des personnes fragiles.. .»

M.B. : « Ces standards mis en place par les organismes de gouvernance sont essentiels, car la question de l’interopérabilité (des univers, des avatars…) est devenue centrale pour que le métavers réussisse.. Nous aurons sans doute besoin d’une régulation, par exemple sur les questions d'interopérabilité et de confiance, basés notamment sur des standards conformes à la réglementation mais aussi aux valeurs européennes. Je pense plus précisément aux questions de harcèlement et de sécurité des usagers. »

 

En partenariat avec Meta, Simplon lance l'académie du métavers. Frédéric, comment abordez-vous cette notion de responsabilité dans ce cursus ?

F.B. : « L’académie du métavers est une formation en alternance gratuite, inclusive, ouverte aux demandeurs d’emploi et à tous les profils. Nous l’avons développée en partenariat avec Meta pour former aux métiers techniques en tension dans ce nouveau secteur : développeur et technicien d’équipement de réalité virtuelle. Nous savons que les futurs recruteurs comme Orange recherchent des profils formés aux enjeux du numérique responsable. C’est pour cela que nous intégrons dans nos curriculums des cours sur les biais algorithmiques, les données personnelles, les impacts santé et environnementaux. »

 

Si beaucoup d’utilisateurs craignent que le métavers ne compromette leur vie privée, comment construire un métavers de confiance ? Faut-il imposer de nouvelles législations pour limiter les dérives ?

 

 

M.B. : « Il est vrai que la vision du métavers actuelle est largement imprégnée de celle de la science-fiction des années 1990, et elle peut inquiéter. Mais ce n’est pas cette référence dystopique qui émergera si l’on est capable collectivement d’anticiper les impacts du métavers sur les infrastructures réseaux, sur l’économie, sur la sécurité, sur l’environnement, sur l’éthique. Chez Orange, nous travaillons déjà pour analyser ces possibles changements. »

 

Photo d'un homme tenant un ipad regardant une femme qui porte un casque de réalité virtuelle

 

F.B. : « Comme sur Internet, il y a dans le métavers des univers publics et privés, qui dépendent de législations très différentes. Par exemple, sur The Sandbox, dont on parle beaucoup, c’est le droit de Hong Kong qui s’applique. Toutes ces plateformes n’ont absolument pas les mêmes exigences que nous en termes de respect de la vie privée. On peut donc imaginer qu’il y aura l’équivalent d’un RGPD exigeant pour les métavers européens. Et pour les autres métavers hébergés ailleurs, le cahier des charges restera à la discrétion de leurs créateurs… »

M.B. : « J’ajouterais que le métavers s’inscrit dans une culture « Web3 » nouvelle, une nouvelle phase d’Internet. Sur ces sujets de confiance numérique, nous bénéficions de l’expérience des deux phases précédentes d’Internet. Nous avons donc des éléments pour analyser cette évolution. »

 

Sur le plan environnemental, quel sera l’impact du métavers ?

F.B. : « Il est indéniable que les technologies employées sont énergivores. Il faut s’équiper en casques de réalité virtuelle, en lunettes de réalité augmentée. Cela demande de la bande passante de réseaux, des ordinateurs plus puissants, des cartes graphiques… Pour comprendre l’impact environnemental du métavers, il faut raisonner en chaîne de valeur, mais malheureusement, la mesure de l’impact est extrêmement complexe. À ce jour, il n’existe pas de données consolidées. Chaque acteur doit faire sa part. Chez Meta, l’éco-conception des casques n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais certains concepteurs - comme les Français de Lynx Mixed Reality - sont en avance. »

M.B. : « À ce jour, nous ne savons pas quelle direction va prendre le marché. Meta a vendu une trentaine de millions d’appareils mais la croissance à venir n’est pas quantifiée. On ne sait pas non plus si les casques ou les lunettes prendront le dessus réellement, ni quand. Ni quelle technologie s’imposera ou ce qu’il en sera de la recyclabilité des déchets électroniques. Tout cela jouera sur l’impact environnemental final du métavers. »

 

Peut-on anticiper que certains usages du métavers auront un impact positif pour l’environnement ?

M.B. : « Le confinement a montré l’impact positif de l’usage de la visioconférence pour remplacer les déplacements, mais ce n’est pas suffisant. Avec les nouvelles fonctionnalités immersives du métavers, on introduit possiblement moins de déplacements personnels, professionnels… Mais bien entendu, il faut également tenir compte du matériel acheté et qu’il aura fallu produire. »

F.B. : « On peut également imaginer un métavers sobre, robuste, protecteur et sur lequel les applications proposées ont du sens pour la société et la planète. Je pense en particulier à des univers réellement utiles et accessibles, notamment pour les utilisateurs des pays émergents. Essayons de faire mieux qu’avec le Web 2.0 sur ces sujets de responsabilité. »