Publié le 08 Juin 2023

Rugby : l’innovation technologique au service du collectif

Interview croisée

Entraînement à "la touche" du XV de France
L'équipe de France s'entraîne à la touche

En septembre prochain, la France accueillera la Coupe du Monde de rugby. C’est l’occasion de découvrir ce que l’innovation technologique apporte à ce sport, grâce à deux experts - Karim Ghezal (Entraîneur adjoint du XV de France) et Julien Piscione (Responsable des sciences du sport au sein de la FFR). Ils se sont livrés au jeu de l’interview croisée.

 

Le rugby a toujours eu dans son ADN un esprit d’innovation.

Julien Piscione, responsable des sciences du sport à la FFR

Julien Piscione, vous animez depuis dix ans le département des sciences du sport de la Fédération Française de Rugby. À ce titre vous accompagnez les différentes équipes de France (féminines, masculines, rugby à 15, à 7…) sur l’optimisation de leur performance, notamment par l’apport des nouvelles technologies.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le rugby est un sport pionnier dans ce domaine ?

Julien Piscione : « Le rugby a toujours eu dans son ADN un esprit d’innovation. Depuis la création du jeu, les règles ont constamment évolué, et de génération en génération, il y a une réflexion autour de ces changements. Par rapport à d’autres sports collectifs, les clubs et leurs staffs ont donc tendance à accueillir positivement les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de vidéo, de GPS, d’analyse de données ou d’autres innovations. »

Portrait Julien Piscione
Julien Piscione, Responsable des sciences du sport à la FFR

Il faut trouver le bon équilibre entre l’innovation technologique et l’état d’esprit collectif du rugby.

Karim Ghezal, Entraîneur adjoint du XV de France

Karim Ghezal, vous entraînez depuis 2019 les joueurs du XV de France de rugby sur des tâches spécifiques comme la conquête aérienne, avec une spécialité : la touche.

Quelle est votre vision de ce que les technologies apportent sur le terrain ?

Karim Ghezal
Karim Ghezal, Entraîneur adjoint du XV de France

Karim Ghezal : « C’est vrai que le rugby est un sport qui évolue vite. En dix ans, la façon de jouer a radicalement changé. Les joueurs et leurs coachs doivent s’adapter et les technologies sont de bons outils pour faciliter l’analyse et améliorer la performance. Mais elles ne remplaceront jamais le terrain. Il faut donc trouver le bon équilibre entre l’innovation technologique et l’état d’esprit collectif du rugby. »

Comment faites-vous pour trouver ce bon équilibre lors de la préparation des matchs du XV de France ?

K.G. : « Nous utilisons tous ces outils avec un objectif : mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain. Par exemple, grâce aux capteurs GPS positionnés sur les joueurs, on analyse leur vitesse de déplacement ou l’intensité des phases de combat… Lorsque l’on prépare un match, nous utilisons aussi d’autres données pour nous permettre d’anticiper le nombre de touches, de mêlées et d’autres séquences suivant leurs zones sur le terrain. L’ensemble de ces données nous permettent de créer un entraînement adapté au match à venir et qui aide les joueurs à être plus performants. »

J.P. : « La technologie nous permet aussi d’individualiser le suivi, par exemple avec des capteurs qui mesurent la glycémie et permettent de s’adapter aux besoins énergétiques de chaque joueur. Toutes ces innovations nous permettent de bien prendre en charge chaque profil, en fonction des spécificités des différents postes de l’équipe, tout au long de la saison. »

Entraînement à "la touche" du XV de France en indoor
L’équipe France s’entraîne à la touche « un départ de jeu d’où sont marqués 50% des essais en match » d’après Karim Ghezal.

Selon vous, quelles sont les innovations qui ont eu le plus d’impact sur le jeu et la préparation des joueurs ?

J.P. : « Le tracking GPS a été une vraie révolution. Avec une simple balise miniature, on est capable de mesurer les performances de chaque joueur : vitesse, accélérations, rythme… L’analyse vidéo a aussi eu un impact énorme, avec des caméras toujours plus perfectionnées qui analysent automatiquement des phases de jeu. Il y a aussi les ballons connectés, déjà utilisés pour le tournoi des Six Nations et qui sont disponibles pour les coachs des différentes équipes de France pour travailler le jeu au pied ou certains types de passes. »

K.G. : « Une autre révolution, c’est aussi la façon dont les coachs s’approprient les technologies pour préparer leurs joueurs. Concrètement, si je dois faire une séance d’entraînement sur 3 000 mètres avec accélérations et sprints, je peux analyser en temps réel si je suis dans les clous ou si je dois ajouter 10 minutes à ma séance. Ensuite, il y a le partage des analyses des matchs et des entraînements. À partir d’indicateurs assez simples, on présente à chaque joueur un bilan de ce qu’il a fait par rapport à ses objectifs. Les joueurs sont demandeurs. »

Comment sont gérées la collecte et l’analyse de toutes ces données pour le XV de France ?

J.P. : « Dans les staffs de rugby, de nouveaux métiers se sont développés autour des technologies. Il y a des data scientists pour collecter, analyser et restituer les données. Et il y a surtout de nouveaux types d’entraîneurs, qui savent utiliser l’innovation pour être plus efficients. Mais s’il n’y avait que des chiffres, cela voudrait dire que la performance serait complètement prévisible. Or l’intérêt du sport, c’est qu’il y aura toujours des éléments imprévisibles ! »

K.G. : « Notre but n’est pas de cumuler les données. En tout, trois analystes vidéos, un data scientist et un sport scientist (pour les données GPS) gèrent les données des performances des joueurs du XV de France. Bien sûr, tous les coachs sont connectés et une heure après un entraînement ou un match, les analyses de données sont restituées et utilisables. »

En partenariat avec Orange et ses partenaires, le XV de France développe un simulateur de touche de rugby en réalité virtuelle appelé la « Touche rugby augmentée ».

Comment est née cette innovation et à quoi sert-elle ?

K.G. : « Le projet a commencé en 2016, lorsque j’étais au LOU Rugby à Lyon, puis a germé en 2019 lors de mon arrivée en Équipe de France. Mon objectif était le suivant : faire progresser mes leaders de Touche sans augmenter le temps d’entraînement collectif. C’est là que la réalité virtuelle est entrée en jeu. En 2022, nous avons développé un POC (Proof of Concept, NDLR) avec notre partenaire Orange qui a repéré AR-51, un prestataire israélien spécialisé dans la captation vidéo de mouvement sans capteur. Grâce à cette application de VR, les joueurs du XV de France peuvent vivre les situations de touche en fonction de plusieurs facteurs comme le bruit du stade, la météo, des cartons jaunes, la fatigue, le stress… et travailler les prises de décision autant de fois que nécessaire. »

Conception jumeau numérique avec Karim Ghezal
La Touche rugby augmentée : Karim Ghezal – XV de France avec les start-up partenaire AR-51 et TOOIIN - Mathieu Percie du Sert et Farid Zourgani (TOOIIN)

Quels sont les enjeux et contraintes qui vous incitent à utiliser la réalité virtuelle ? »

J.P. : « La réalité virtuelle a beaucoup de potentiel, mais elle est encore très peu utilisée pour le sport de haut niveau. Avec ce type de simulateur, nous aurons l’occasion de prendre un avantage technologique sur les autres équipes nationales. Et le rugby pourrait encore une fois être un précurseur pour d’autres sports. »

Et dans dix ans, comment imaginez-vous les entraînements du XV de France ? Toujours plus connectés ?

J.P. : « Pour l’avenir, un verrou technologique reste à ouvrir : la captation d’images. On peut imaginer que dans dix ans, des caméras aux bords des terrains permettront l’utilisation d’images pour réaliser des simulations de mouvements en temps réel et pour analyser les stratégies de manière plus fine grâce à l’intelligence artificielle. »

K.G. : « Le XV de France est un environnement particulier, avec des périodes d’entraînements limitées à 15 jours avant les compétitions. La réalité virtuelle va nous aider à mieux utiliser le temps des joueurs, comme d’autres innovations nous aideront à mieux les préparer. Pour cela, nous voulons avoir un temps d’avance sur ces évolutions à venir, tout en préservant le côté humain et l’esprit collectif qui font la force du rugby. »


Orange remercie pour leurs contributions sportives à la réalisation de cette expérience, les joueurs de l’équipe de France, les joueurs de l’équipe de rugby de Tel Aviv Heat et les joueurs du Rugby Club Vincennes.