Publié le 24 Septembre 2020

Peut-on concilier relance économique et transition écologique ?

Alors que la pandémie de Covid-19 ne connaît pas de répit dans le monde, la reprise de l’activité économique mobilise toutes les énergies.
Dans ce contexte encore incertain, Yann Arthus-Bertrand, photographe, reporter, réalisateur et président de la Fondation GoodPlanet, et Élisabeth Laville, fondatrice et directrice d'Utopies, la première agence de conseil en développement durable créée il y a 27 ans, partagent leurs analyses et leurs pistes de réflexion en faveur d’une reprise inclusive et durable.

 

Que révèlent la pandémie de Covid-19 et la crise économique sur notre société et notre rapport à l’environnement ?

Élisabeth Laville – La crise a agi comme un révélateur. D’abord, quand l’économie est à l’arrêt, la nature se porte mieux. Mais le premier objectif aujourd’hui, c’est d’arriver à ce que l’environnement aille mieux quand on relance l’économie !
Ensuite, les entreprises ont un rôle parfois essentiel à la société et elles peuvent contribuer au bien commun – y compris en fabricant des masques et des respirateurs, par exemple. Face à l’urgence, les raisons d’être sont devenues des raisons d’agir.
J’ai en tête l’exemple de la MAIF qui a reversé à ses sociétaires les économies réalisées sur la sinistralité automobile pendant le confinement.
Nous devons mettre cette période à profit pour construire une société et une économie plus solidaires et résilientes, à même d’affronter d’autres crises, en particulier la crise climatique. 

© Yann Arthus-Bertrand - Port of Montevideo, Montevideo Department, Eastern Republic of Uruguay.

 

Yann Arthus-Bertrand – Ce qui est arrivé était inimaginable. On a découvert qu’on pouvait arrêter le monde du jour au lendemain et vivre avec l’essentiel.
À présent, la vie reprend son cours, on navigue à vue avec une crise économique plus forte qu’on ne l’avait imaginée.
Face à cette urgence, je crains que l’environnement ne passe au deuxième plan. Or, les nouvelles concernant le réchauffement climatique sont de plus en plus alarmantes.
Au Canada ou en Sibérie, le permafrost fond à une vitesse qui dépasse toutes les prévisions mais l’inertie reste de mise.

Yann Arthus Bertrand

 

 

Ce qui est arrivé était inimaginable. On a découvert qu’on pouvait arrêter le monde du jour au lendemain et vivre avec l’essentiel.

Yann Arthus-Bertrand.

 

 

 

 

Nos modes de vie ont beaucoup évolué pendant la période de confinement. Ces nouvelles habitudes plus vertueuses vont-elles perdurer ?

Y. A-B. – Vous y croyez, vous ? On consomme 100 millions de barils de pétrole par an, une centrale à charbon croît sept fois plus vite que son équivalent en renouvelable…
Nous sommes prisonniers de la croissance, avec un open bar permanent sur les énergies fossiles ! Cela fait 20 ans que l’on dit qu’il faut manger bio et faire du vélo mais nous n’avons jamais le temps de prendre les mesures nécessaires.
Le changement doit avoir lieu tout de suite. Il est trop tard pour être pessimiste.

E. L. – Je suis dans le camp des optimistes. La crise aura sans doute accéléré le changement sur certaines pratiques : le télétravail, la mobilité douce en ville, les vacances en France sans avion, le soutien aux commerces locaux, un mode de vie plus slow…
Mais il ne faut pas être naïf et tenir le cap - car il y a autant de gens qui rêvent du monde d’après que de gens qui rêvent de revenir au monde d’avant ! 

Elisabeth Laville

 

 

 

L’enjeu, c’est d’opérer une décroissance sélective de la pollution, des déchets et des émissions de CO2… tout en continuant à faire croître le bien-être, la santé, la biodiversité, les emplois.

Élisabeth Laville.

 

 

 

 

La décroissance est-elle une solution pour sortir de la crise ?

Y. A-B. – Nous sommes prisonniers d’un système qui repose sur la croissance et qui donne lieu à des comportements complètement incohérents. Nous importons de la viande d’Argentine, des bouquets de fleurs du Kenya, nous prenons trop l’avion...
La température pourrait augmenter de 5 degrés à la fin du siècle. À ce rythme, les forêts seront desséchées dans 10 à 15 ans mais nous restons dans un déni collectif. Selon certains scientifiques, nous avançons à pas de géant vers la sixième extinction massive des espèces.
Avant de parler de décroissance radicale, nous devons impérativement consommer moins et réduire notre dépendance aux énergies fossiles. 

E. L. – Nos modèles actuels ne fonctionnent plus. On sait qu’une croissance infinie est impossible dans un monde aux ressources finies.
L’enjeu, c’est d’opérer une décroissance sélective de la pollution, des déchets et des émissions de CO… tout en continuant à faire croître le bien-être, la santé, la biodiversité, les emplois.
Le développement durable, c’est avant tout un changement culturel qui prend du temps.
Sur certains sujets comme la diminution des trajets en avion, la réduction d’achats de vêtements neufs ou de la consommation de viande, on s’approche du fameux point de bascule, ce moment où la minorité active entraîne la majorité silencieuse.
C’est d’ailleurs souvent à la faveur d’une crise que les nouveaux comportements prennent le dessus.

Y. A-B. – Nous avons fait un film sur la convention citoyenne où des citoyens « comme les autres » se sont réappropriés les problèmes de leur temps et nos devoirs.
Ce qui est formidable, c’est que des personnes qui ne connaissaient rien à l’écologie sont devenues très engagées !
Elles essaient de convaincre leurs parents, leurs collègues de travail, leur famille... Et ont pris conscience de nos responsabilités.

 

La crise liée à la pandémie de Covid-19 a mis à l’arrêt une grande partie de l’activité économique.
Quelles sont les priorités pour une relance verte et inclusive, notamment en matière d’emploi ? 

E. L. – Une relance par le local me paraît susceptible de répondre à la fois aux enjeux d’emploi, d’inclusivité, d’écologie et de résilience.
Nos études montrent que le dynamisme de l’économie locale, c’est-à-dire la capacité à répondre localement à la demande locale, détermine un tiers des différences de prospérité entre les territoires, partout dans le monde.
Or sur les biens de consommation, on a plutôt tendance à importer. Nos aires urbaines sont devenues des plateformes logistiques où des camions d’import et d’export se croisent en permanence et sans logique.
Cette économie de l’absurde qui a un impact écologique énorme, est également responsable d’une perte d’emplois et de lien social à l’intérieur des territoires. Il est urgent de relocaliser une partie de notre production agricole ou industrielle.
Dans les Hauts-de-France, en relocalisant 10 % seulement des « fuites économiques » (les importations réalisées pour répondre à la demande locale), on créerait déjà 45 000 emplois, ce qui ferait passer la région en dessous de la barre des 10 % de chômage. 

 

Les entreprises dotées d’une forte stratégie RSE sont-elles plus résilientes et vont-elles être un des moteurs de la relance ?

E. L. – Ces entreprises ont construit un dense réseau de relations et de confiance avec leurs parties prenantes qui les porte et amortit les chocs, un peu comme une toile d’araignée qui tient même quand certains fils cassent.
Elles ont mieux résisté au cours des derniers mois, et repartent plus vite. Les fonds d’investissement durable ont continué à gagner des investisseurs au plus fort de la crise : au premier trimestre 2020, ils ont progressé de 30 milliards d’euros en Europe tandis que les autres perdaient 148 milliards d’euros.
Aux États-Unis, les fonds d’investissement responsable ont eu un taux de croissance jusqu’à cinq fois supérieur aux autres. 
 

Quel rôle peut jouer le numérique dans la relance ? 

Y. A-B. – Je le dis à contrecœur car le numérique a été un formidable outil pendant le confinement et je passe mes journées au téléphone – je suis comme tout le monde – mais je pense que les évolutions du numérique vont augmenter notre impact sur la planète.  

E. L. – Massivement utilisé durant le confinement pour le télétravail ou l’école à la maison, le numérique a révélé, voire aggravé, certaines inégalités liées à l’accès, à la maîtrise des outils ou encore à la capacité de s’isoler à son domicile pour travailler.
Mais il a aussi prouvé son caractère indispensable en permettant la mise en place de ces solutions à court terme, avec par exemple des plateformes de vente directe des producteurs au consommateur.
Les FabLabs, avec leurs imprimantes 3D, ont également gagné en crédibilité pendant la crise en fabriquant des visières pour les soignants. Il en ressort clairement que le digital a un rôle majeur à jouer sur nos territoires.
L’Agenda pour un futur numérique et écologique publié en mars 2019 par la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (FING) explique que pour faire une transition, il faut une destination et un chemin : la transition écologique a la destination mais pas le chemin, et la transition numérique le chemin mais pas la destination.
On a donc tout intérêt à concilier les deux en maîtrisant l’impact du numérique sur la planète… et en le mettant au service de la sobriété énergétique !