Gilles Babinet

Publié le 24 Septembre 2020

Penser le numérique après le Covid-19 : quelles opportunités pour l’environnement et la société ?

Le numérique a prouvé son caractère essentiel au cours de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Et maintenant, quel est son rôle dans la reprise économique et au-delà ? Éclairage de Gilles Babinet, Digital Champion et conseiller spécial de l'Institut Montaigne pour le digital.

 

Y aura-t-il un avant et un après la crise Covid-19 ?

 

Gilles Babinet – C’est incontestable. Certains secteurs comme le transport aérien ne prévoient pas de retour au niveau pré-crise avant quelques années, en raison principalement de l’effondrement des voyages professionnels.

Avec l’essor du télétravail, les bureaux pourraient connaître une dépréciation durable. De nouvelles habitudes et pratiques ont été adoptées durant cette crise et la transformation numérique des entreprises s’est considérablement accélérée.
Les investisseurs ne s’y trompent d’ailleurs pas en valorisant à des niveaux inégalés les entreprises qui la rendent possible, tant l’organisation sociale et économique de la société toute entière s’en trouve impactée.

Mais, dans le même temps, des technologies prometteuses comme l’intelligence artificielle (IA) n’ont pas été suffisamment exploitées dans ce contexte d’urgence. Sans doute parce que jusqu’à récemment, l’épidémiologie, les flux hospitaliers ou le suivi de patients n’étaient pas des domaines de recherche prioritaires, contrairement à l’automobile ou à l’e-commerce.

 

Le déploiement de la 5G suscite de nombreux débats, tant sur le volet environnemental que sanitaire. Qu’en pensez-vous ?

 

G.B. – Pour ma part, je pense que l’avenir démontrera l’importance de la connectivité dans la mutation vers un monde plus écologique. Je regrette simplement qu’il n’y ait pas plus de travaux de recherche à ce sujet, ce qui fait qu’abondent des affirmations insuffisamment étayées à ce propos. À titre d’exemple, les camions en Europe ont un taux de remplissage de 14 % supérieur à ce qu’il était en 2000. Il est difficile de contester que ce ne soit pas là l’œuvre des technologies de l’information qui optimisent les performances du secteur de la logistique. La 5G, en offrant une connectivité fiable, va permettre de repenser les modèles industriels, agricoles, les systèmes énergétiques, etc.
À condition que les pouvoirs publics prennent des engagements forts.

Aux côtés de l’économiste Éric Chaney, je milite en faveur d’un dividende carbone, une taxe sur l’ensemble des émissions de CO2 (y compris les émissions importées) qui serait intégralement reversée aux foyers sous la forme d’un chèque. Concrètement, sur une base définie de 50 euros la tonne, cela reviendrait à payer 500 euros par personne et
1 500 euros par foyer. Ainsi un foyer vertueux y gagnerait, tandis qu’un foyer fortement consommateur de CO2 y perdrait. Cet outil devrait pousser l’ensemble du système productif à innover pour réduire les émissions liées à leurs activités. Par exemple, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), on cesserait probablement d’utiliser du ciment générique, au profit de matériaux moins énergivores.

 

Comment la technologie va-t-elle accompagner les mutations de nos sociétés ?

 

G.B. – La 5G et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) seront déterminantes dans la mutation vers un monde plus écologique et plus connecté, avec un impact certain sur nos modes de vie. Prenez l’exemple de certaines villes comme à Bali ou dans certaines îles grecques : vous y verrez une nouvelle catégorie de travailleurs, généralement issus de la génération Z – consultants, codeurs, experts en marketing, etc. – qui travaillent en mode nomade de façon permanente. Plus proche de nous, je connais une grande société de conseil qui est en train de fermer la majorité de ses bureaux centraux pour créer des sites de proximité beaucoup plus petits et en grand nombre. Cela n’est possible qu’avec la performance de la connectivité contemporaine.

Au-delà de ces exemples, vous pouvez prendre à peu près tous les sujets de politique publique – éducation, santé, emploi, etc. – et vous constaterez que le numérique accompagne toutes les transitions de notre société. L’exemple estonien nous le montre. Le pays balte est devenu une référence en matière de démocratie numérique et dématérialisée. Et les résultats sont là : son système éducatif qui repose sur l’utilisation généralisée d’outils technologiques est classé premier au classement PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les mesures politiques fortes incitent à l’innovation positive, en faveur d’une société plus inclusive !