Publié le 24 Janvier 2024

Comment les journalistes travaillent-ils à l’heure de l’IA ?

Faire la part des choses entre le vrai et le faux dans l'océan de contenus produits chaque jour, mission impossible ? C’est pourtant à cette tâche que se consacre l'infatigable Aude Favre, journaliste, créatrice de la chaîne YouTube WTFake, chasseuse de fake news et autres théories conspirationnistes. Elle partage ses réflexions et ses outils pour apprendre à détecter les contenus générés par l’IA à des fins de manipulation.

Illustration d'un fond étoilé
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Silhouette d'une femme en illustration

Aude Favre,
Journaliste et Youtubeuse

 

Quel regard portez-vous sur la génération automatique de contenus par l’IA ?

Cette pratique pose question au sein de la profession. Faut-il accepter que des articles écrits par des journalistes cohabitent avec des textes ou des photos générés par l’IA ? L’IA risque-t-elle de remplacer les journalistes ? A titre personnel, je ne me sens pas du tout menacée parce que ce que je fais, l’IA n'est aujourd’hui pas capable de le faire : appeler une source, recouper une information, la vérifier... J’ai la sensation que le métier n’est pas mis à mal par l’IA, tout simplement parce que pour faire une enquête, rien ne peut remplacer l’humain. L’émergence de cette technologie va durablement révolutionner notre secteur mais peut-être de façon positive, en aidant les journalistes à se concentrer sur leur cœur de métier, l’investigation. 

 

Que faire face à la nuée de contenus « fake » créés par l'IA ?

La manipulation se professionnalise et les moyens mis en œuvre pour tromper dépassent de très loin ceux dont nous, journalistes, disposons. Cela rend plus urgente l'éducation aux médias.

Aude Favre, Journaliste et vidéaste

Le challenge est énorme. La manipulation se professionnalise et les moyens mis en œuvre pour tromper dépassent de très loin ceux dont nous, journalistes, disposons pour contrer les fake news. Ce que nous pouvons faire est une goutte d’eau dans l’océan de la désinformation. Néanmoins, nous nous devons d’agir. Alors que certains travaillent à manipuler davantage, chacun peut se mobiliser pour tenter de lutter contre cette désinformation. Car oui, il s'agit d’une guerre !

De mon point de vue, cela rend plus urgente l’éducation aux médias, qui doit être massifiée dans l’Éducation nationale même si elle est compliquée à mettre en place. Le nombre de collégiens qui sortent de l’école sans avoir eu une minute de formation à ce sujet est bien trop important. D’autant plus qu’ils évoluent dans une réalité faite de rumeurs, de faux contenus qui sont en réalité publicitaires... Ne pas leur donner les clés pour pouvoir décoder cela par eux-mêmes est irresponsable, même si je pense qu’ils sont beaucoup moins dupes que d’autres publics plus âgés.

Comment les journalistes peuvent-ils vérifier la véracité d'un contenu ?

Le cœur du travail journalistique : rechercher qui a publié un contenu en premier et savoir si cette source est digne de confiance.

Aude Favre, Journaliste et vidéaste

Le cœur du travail journalistique consiste à rechercher qui a publié un contenu en premier et à savoir si cette source est digne de confiance. Si on se trouve face à un contenu qui n’a jamais été diffusé auparavant et qui n’a jamais été authentifié par un journaliste, alors on peut légitimement se poser la question de sa véracité. La bonne nouvelle est que ce travail de vérification peut, dans la plupart des cas, se faire à l’aide d’outils simples, accessibles à tous. S’agissant plus spécifiquement des « deepfakes », il était encore assez compliqué de les déceler il y a quelques mois car il n’y avait pas d’outils fiables en la matière. Cela peut néanmoins évoluer très rapidement, les progrès sont extrêmement rapides.

Est-il possible de lutter ou s’agit-il d’un combat perdu d’avance ?

Rien n'est perdu d'avance mais il faut une volonté collective : des pouvoirs publics mais aussi des journalistes afin qu’ils sensibilisent un maximum de personnes à leur travail. A mon niveau, je constate que beaucoup de gens ne veulent pas vivre dans un monde intoxiqué par des contenus faux ou trompeurs. C’est ce qui m’a poussée à créer une grande rédaction citoyenne au sein de laquelle tout le monde peut enquêter avec moi sur Discord. Cela a contribué à donner vie à une série documentaire diffusée sur arte.tv qui s’appelle Citizen Facts. Mon but est de fédérer un maximum de personnes, en France et à l’étranger, qui ne veulent pas de la manipulation et avec lesquelles échanger, populariser des outils pour détecter les fake news et développer son esprit critique.

Comment les citoyens peuvent-ils s’informer de manière sûre et fiable ?

J’ai ma petite idée : en faisant confiance aux journalistes qui sont des professionnels de l’information. De la même manière que si quelqu’un veut réparer sa voiture, je lui conseillerais d’aller chez un bon garagiste. Le cœur du métier de journaliste est d’éclairer, de produire des enquêtes, d’informer au mieux. Cela ne veut pas dire qu’ils ne font pas d’erreurs mais je les vois travailler, et je peux vous dire qu’ils se démènent pour produire de l’information de qualité. 

Illustration d'une vague

La méthodologie

Mise au point par Aude Favre, qui l’utilise avec les membres de sa rédaction citoyenne, la méthode STAR permet de vérifier de manière simple qu’une information est sûre et fiable.
Pour cela, elle doit cocher 4 cases :

S pour source. Quelles sont les sources selon lesquelles ce fait existerait ? Sont-elles de confiance ?

T pour travail. Comment a été menée l’enquête ? Quels spécialistes ont été contactés et témoignent ?

A pour auteur. L’auteur du contenu connaît-il le sujet ? Quelle est sa légitimité ?

R pour rigueur. La rédaction est-elle précise ? Les termes employés sont-ils justes ?

La boite à outils des journalistes

InVID WeVerify : En détectant les manipulations d’image (filtres, montages...), cet outil permet de vérifier l’authenticité d’une vidéo ou d’une photo.

La recherche d’image inversée sur Google : C’est l’outil de base des journalistes. Il suffit de télécharger une photo pour que Google recherche ses occurrences sur internet. Il est ainsi possible de retracer l’origine d’une image et de retrouver sa première apparition.

Tineye : Ce site met en évidence les différences qui peuvent exister entre deux images et permet d’en déduire les modifications réalisées sur l’original : retouche, recadrage, etc.

Originality.ai : Comment savoir si un texte a été généré par une IA ? Grâce à un outil de contrôle de l’authenticité. Chaque texte scanné se voit attribuer une note. Si elle est de 100/100, alors vous avez la certitude qu’il a été rédigé par un humain.