Publié le 24 Janvier 2024

Intelligence artificielle : où en sont l’Afrique et le Moyen-Orient ?

Souvent passés sous silence lorsque l'on parle d’IA, le continent africain et le Moyen-Orient disposent pourtant de nombreux atouts. Si certains pays sont déjà avancés sur ce sujet, tous peuvent en attendre de nombreux bénéfices. Etat des lieux avec l’entrepreneur égyptien Marc Banoub, Fondateur et Directeur général de la startup LyRise.

Illustration d'une vague
Carte du monde en illustration
 
Miniature de la photo de Marc Banoub

Marc Banoub,
Fondateur et directeur général de la startup LyRise

 
 
Illustration grise

Voilà déjà quelques années que l’IA connaît un véritable essor sur le continent africain et au Moyen-Orient. Un sujet que le spécialiste de l’IA Marc Banoub connaît bien puisqu’il a créé en 2019 la plateforme LyRise pour mettre en relation des entreprises nord-américaines et européennes, à la recherche de talents en IA, avec des experts africains. 4 ans plus tard, il se dit optimiste quant aux progrès rendus possibles par l’IA.

L’IA pourrait rapporter 1 500 milliard de dollars à l’économie africaine d’ici à 2030. Et cela à condition d’occuper seulement 10 % du marché mondial de l'IA ».

Marc Banoub, Fondateur et Directeur général de la startup LyRise

Principalement à la main des grandes puissances européennes et asiatiques et des États-Unis, l’IA porte en soi des questions éthiques. En effet, à travers ce puissant outil, c’est le potentiel de développement des économies qui est en jeu. Il est de ce fait particulièrement réjouissant de voir les pays d’Afrique et du Moyen-Orient s’en saisir et l’IA profiter à tous.

L’IA pour répondre aux grands défis

Les agriculteurs ont une carte indéniable à jouer avec l'IA ».

Marc Banoub, Fondateur et Directeur général de la startup LyRise

De nombreux usages prometteurs se dessinent déjà, notamment à destination des secteurs d’activité les plus stratégiques. C’est le cas notamment du secteur agricole, qui emploie entre 65 et 70 % de la main d’œuvre, selon la Banque africaine de développement. Bien qu’occupant une place de premier plan dans l’économie africaine, il peine à se moderniser et reste très dépendant des aléas climatiques et des maladies. Pour Marc Banoub, les agriculteurs ont une carte indéniable à jouer avec l'IA pour venir en aide aux agriculteurs « en optimisant le rendement des cultures et l'irrigation, l'analyse des sols, le diagnostic des maladies... ».

C’est le cas avec l’application Nuru, qui permet de diagnostiquer les maladies du manioc et de protéger les denrées alimentaires. Elle vient déjà en aide à 28 000 producteurs kényans. D’autres projets sont en cours pour mieux prédire la croissance des cultures et protéger les denrées alimentaires vitales du réchauffement climatique.

Autres exemples d’avancées rendues possibles grâce à l’IA : l’optimisation des conditions d’exploitation et de production de l’industrie minière grâce à Rocketmine, un service de cartographie utilisant des drones ou encore, dans le secteur assurantiel, l’amélioration de la détection de la fraude dont l’entreprise Curacel a fait sa spécialité.

Des atouts et des challenges à relever 

Les pays d’Afrique et du Moyen-Orient disposent d’incomparables atouts : la main d'œuvre la plus jeune et la plus nombreuse au monde, des infrastructures numériques particulièrement solides dans certains pays mais aussi d’importantes opportunités commerciales qui restent à saisir.

Marc Banoub, Fondateur et Directeur général de la startup LyRise

L’émergence de l’IA dans les pays d’Afrique et du Moyen-Orient peut s'appuyer sur d’incomparables atouts, selon le lauréat des 30 Under 30 du Forbes Middle East : la main d'œuvre la plus jeune et la plus nombreuse au monde, prête à rentrer sur ce marché, des infrastructures numériques particulièrement solides dans certains pays comme le Kenya, le Nigeria, le Ghana, l'Éthiopie ou l'Afrique du Sud, mais aussi d’importantes opportunités commerciales qui restent à saisir (sous-bancarisation de la population, forage des données inexploitées...).

Pour favoriser l’émergence de l’IA, de nombreux freins attendent néanmoins d’être levés. Premièrement, le manque de compétences techniques. Bien que de nombreux jeunes aient été formés à l’IA, une poignée seulement peut se targuer d’avoir plusieurs années d’expérience en la matière. Ensuite, les difficultés d’accès au numérique : 20 % de la population n’est toujours pas connectée à internet. En la matière, l’entrepreneur égyptien s’attend à un “effet d’entraînement” avec la généralisation du haut débit et la démocratisation de la 4G et l’arrivée de la 5G. Néanmoins, s’ajoute à cela la dépendance des pays de l’Afrique et du Moyen-Orient aux acteurs étrangers s’agissant des logiciels, mais aussi du matériel informatique. Marc Banoub incite les acteurs locaux à se saisir de ce sujet afin que le hardware puisse être intégralement produit sur place « d’ici 5 à 10 ans ».

Dernier frein à lever et pas des moindres : le manque d’investissements dans l’éducation et la recherche et l’absence de vision des décideurs publics. “L'IA devrait être l'une des principales priorités de chaque gouvernement, parce que s’il n'y a pas assez d'investissements, s'il n'y a pas de programmes éducatifs, et si nous ne rattrapons pas notre retard, nous risquons de passer à côté de toutes les opportunités qui s'offrent à nous”, met en garde l’ingénieur.

Des partenariats pour engager le développement

Un constat s’impose : bien que prometteuse, l’IA peine encore à prendre toute sa place dans l’ensemble des pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Marc Banoub se réjouit néanmoins de voir émerger les premiers modèles de partenariats public-privé et des collaborations fructueuses entre universités et entreprises. « À ce jour, il existe plus de 30 communautés de développeurs en Afrique, comme IndabaX qui rassemble les meilleurs chercheurs, et de plus en plus d’universités proposent des diplômes pour les étudiants qui souhaitent s’y former. Les projets reposant sur cette technologie se multiplient : nous en avons 2 400, opérant dans plusieurs secteurs d'activité ».

Si l’entrepreneur égyptien note une multiplication exponentielle des initiatives en lien avec l’IA, l'émergence des écosystèmes d’innovation se fait pour l’instant timidement. Rien de comparable avec ce que l’on peut voir aux États-Unis, reconnaît-il. Il explique cet écart par le fort engouement des GAFAM et des grandes universités américaines pour l’IA et une multiplication de leurs investissements pour occuper une place sur ce marché. C’est pourquoi il appelle tous les acteurs du continent à se mobiliser et à multiplier les rencontres pour fédérer de nouveaux écosystèmes, à l'image de Google qui a inauguré un centre de recherche sur l’IA à Accra, capitale du Ghana. « Des start-up comme LyRise ou InstaDeep doivent aussi être moteurs et investir plus ouvertement pour que des rencontres puissent avoir lieu et ainsi connecter tous les acteurs de l’IA ».

Garantir une IA responsable et dénuée de biais 

Comme ailleurs dans le monde, le prochain défi qui s’annonce est de taille : parvenir à garantir l’éthique et la responsabilité de l’IA. Première étape, réussir à se mettre d’accord sur ce que l’on entend par IA responsable, souligne Marc Banoub.

Vient ensuite la nécessité de se prémunir des risques liés à cette nouvelle technologie en matière notamment de protection des données. En effet, celles-ci sont stockées, dans leur grande majorité, hors du continent. L’Afrique et le Moyen-Orient pâtissent par ailleurs de biais algorithmiques du fait que l’essentiel des données provient d’Europe et des États-Unis. Or, selon un rapport de l'Unesco, seuls 9 des 32 pays africains affirment disposer d’un cadre juridique pour la protection contre les biais et le caractère discriminatoire des algorithmes.

« Nous espérons faire partie de ceux qui réussiront à mettre ce sujet sur la table, en partenariat avec des géants qui sont à la pointe comme Meta et OpenAI, pour en devenir les pionniers », conclut Marc Banoub qui prédit une émergence du sujet d’ici 5 à 10 ans. Le temps, dit-il, que le positionnement des gouvernements sur la réglementation et l’éthique « mûrisse ».

Un développement encore très hétérogène

Si la révolution de l’IA est bien en cours, elle n’adopte pas le même rythme dans tous les États. Certains font déjà figure de précurseurs, à l’instar de l’Égypte, du Nigeria et de l’Afrique du Sud, véritables hubs technologiques particulièrement dynamiques dans le domaine de l’innovation. Se trouvent également en tête la Tunisie et l’île Maurice, seuls pays en Afrique à avoir publié une stratégie d’IA. Au Moyen-Orient, ce sont les Émirats Arabes Unis qui se placent en pole position, d’après l’index AI readiness d’Oxford insight. Le pays, qui souhaite diversifier son économie, très dépendante du pétrole, se classe en 18e position au niveau mondial. De quoi offrir de l’espoir à ses voisins qui voudraient suivre son modèle.

Le pays des pharaons qui a, de son côté, posé les premiers jalons du développement de l’IA sur son territoire en créant un Conseil national pour l'IA, veut désormais aller plus loin en tentant d’élaborer une stratégie unifiée pour l’ensemble du continent africain, ou du moins ses pays les plus avancés. Une tâche qui s’annonce ardue, selon le CEO de LyRise : « À ce jour, il n’y a pas d’incitation claire à le faire. Quel sera l’intérêt pour ceux qui s’y risqueront ? Qui dirigera cette alliance ? Je crains que nous ayons beaucoup de difficultés à parvenir à un consensus sur le modèle de celui trouvé par l’Union Européenne ». « Nous n'en sommes qu'aux débuts de l'ère de l'IA », conclut-il.

Illustration d'une vague

TOP 10 des initiatives à suivre

Entreprises

InstaDeep (Tunisie) : spécialisée dans l’aide à la décision, la start-up créée en 2014 s’est fait connaître du grand public en mettant au point un système permettant la détection précoce des variants de la Covid19 qui a en outre été accompagnée par Orange Tunisie.

LyRise (Égypte) : fondée par Marc Banoub en 2019, LyRise s’applique à combler le fossé entre les besoins de main d’œuvre des grandes entreprises occidentales et les talents africains en IA. 

Sama (Kenya) : cette plateforme fournit des données de haute qualité permettant d’alimenter les algorithmes d’apprentissage.

DataProphet (Afrique du Sud) : son but est d’améliorer les performances de fabrication et les rendements de l’industrie manufacturière grâce au machine learning. 

Yemaachi Biotechnology (Ghana) :  cette MedTech mène des recherches sur le cancer et utilise l'IA pour lire les données plus rapidement et établir des liens entre elles. 

Curacel (Ghana) : La start-up a mis au point un système de détection de la fraude grâce à l’IA pour aider les entreprises à identifier les demandes de remboursement frauduleuses. 

Autres

IndabaX : ces conférences internationales rassemblent une communauté africaine de plus de 400 chercheurs, étudiants, professionnels et experts autours de l’IA.

Responsible AI Network Africa (RAIN-Africa) : cette organisation se consacre aux défis éthiques et sociaux de l'intelligence artificielle en Afrique.

Data Scientists Network (Nigeria) : cette ONG a pour objectif de former 1 million de talents informatiques afin de les préparer au futur du monde du travail.

The Gradient Boost  : ce bootcamp en ligne a pour but d'aider les étudiants basés en Afrique à acquérir de solides compétences en Data Science.

Illustration Afrique